Le Cloître de Monte Oliveto Maggiore
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MONTE OLIVETO MAGGIORE
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L'abbaye a été fondée par un riche siennois, Jean Tolomei, qui
s'installa sur des terres familiales. Il devint abbé en 1321 et trouva
la mort au temps de la peste de 1348. L'abbaye, de règle bénédictine, fut le
point de départ de la congrégation des Olivétains qui comptait 23
monastères en 1400. Le Grand Cloître fut construit dans les années 1426 - 1443.
L'Abbaye chargea d'abord Luca Signorelli en 1495, puis Giovanni Antonio Bazzi (1477-1549) dit le Sodoma
en 1505, de réaliser un cycle de fresques représentant les scènes de la
vie du célèbre saint Benoît qui, vers 529, avait écrit sa Règle au Mont-Cassin. Les peintres étaient guidés par la biographie du moine par Grégoire le Grand.
LES FRESQUES DU GRAND CLOITRE
Les panneaux sont presque tous présentés et par commodité numérotés.
1. Benoît donne la règle aux moines olivétains
2. Benoît quitte sa famille pour aller étudier à Rome
Benoît ne part pas
tout seul, il accompagné de sa nourrice Cyrilla qui tient beaucoup à
lui. On ne sait pas ce qui peut arriver dans la Capitale.
3. Benoît abandonne l'école de Rome
4. Benoît recolle un plat cassé
C'était la faute de sa nourrice Cyrilla. Mais
Benoît fait un miracle qui recolle le plat qu'on voit en bas à gauche de
cette image sélectionnée surtout de manière à montrer l'autoportrait du SODOMA habillé
en gentilhomme du Quattrocento, et non en contemporain de Benoît. Aux
pieds du peintre, des animaux au premier plan, on en trouve d'autres
dans ces fresques, ainsi la n°2 avec le petit chien qui mord la
robe de la fillette. Cette technique est destinée à un grand avenir,
au-delà même de la Renaissance.
5. Le moine Romain donne l'habit d'ermite à Benoît (détail)
À l'arrière-plan une
vue de la ville de Subiaco où Benoît fit étape avant le séjour du Mont
Cassin. Désormais, Benoit devenu ermite va porter les cheveux courts.
6. Le Diable rompt la clochette
Jacques de Voragine, dans la «Légende Dorée» explique bien les faits. Fuyant sa nourrice, Benoît s'est «réfugié dans une caverne où, pendant trois ans, il vécut ignoré de tous
les hommes à l'exception d'un moine nommé Romain, qui pourvoyait à son
entretien. La caverne où se trouvait Benoît étant d'un accès difficile,
ce Romain attachait un pain à une longue corde, et le lançait ainsi à
Benoît du haut de la montagne. Et il avait attaché à la corde une
clochette dont le son avertissait le jeune ermite d'avoir à sortir
prednre le pain. Or, le vieil ennemi des hommes, voyant cela, brisa la
clochette, de manière à ce que Benoît ne fût plus averti de l'arrivée
de son pain.»
Et Voragine de continuer : « Et voilà que
certain prêtre, qui se préparait à fêter le jour de Pâques, vit
apparaître le Seigneur qui lui dit. "Tu t'apprêtes là à un festin, et,
au même moment, dans une caverne de la montagne, mon serviteur souffre
de la faim !»
7. Un prêtre porte à manger à Benoît le jour de Pâques (détail)
« Aussitôt le prêtre se leva et quand il
eut enfin trouvé la retraite de Benoît, il lui dit : "Lève-toi et
mangeons ensemble le repas que je t'apporte, car c'est aujourdh'ui la
fête de Pâques !" Et Benoît lui dit : "Oui, c'est une vraie fête
puisque j'ai le bonheur de te voir!" Car dans son isolement il ne
savait pas que c'était en effet le jour de Pâques.» (Jacques de Voragine, La Légende dorée, page 185. Coll. Points Seuil, 2002).
8. Benoît enseigne la doctrine chrétienne aux paysans du coin
L'ermite explique la
foi chrétienne aux paysans représentés dans une grande diversité
d'attitude et de costumes. À droite est-ce un berger ou une bergère aux
cheveux bouclés et à la cuisse attirante qui semble sortir d'une œuvre
de Botticelli ?
9. Benoît triomphe de la tentation
Jacques de Voragine explique pourquoi Benoît est déshabillé. «Soudain, revenant à lui, il se mit à nu, se roula dans les épines et les ronces qui entouraient sa cellule, se déchira tout le corps, et fit sortir la plaie de son âme par les plaies de sa peau; et ainsi il vainquit le péché. Et depuis ce temps, jamais il ne connu la tentation charnelle» (ibid. page 186).
10. Les ermites demandent à Benoît d'être leur chef et leur Abbé
Benoît s'est levé (à
la différence des trois scènes précédentes) et donc est tout prêt à
suivre les ermites venus à sa rencontre. Noter le symbole des rayons
solaires et le platane sur la rive de la rivière où un autre groupe
attend le résultat de l'entrevue.
11. Benoît brise un verre de vin empoisonné en faisant le signe de croix
Les mêmes qui
viennent d'inviter Benoît à les diriger ne sont plus contents de lui tant il est exigeant et
tentent sans plus attendre de l'empoisonner ! Un signe de croix. Le
verre se brise. Benoît est sauvé. Dans la catégorie des détails chère à
Daniel Arasse, notons le petit chat blanc qui passe dans le couloir du
fond où des moins complotaient.
12. Benoît fait édifier douze monastères
Une scène de
chantier avec outils et maçons. Tout en haut, la truelle à la main et
le mortier à côté de lui, un ouvrier est en conversation avec les
moines. Ça n'interrompt pas le travail du tailleur de pierres. À
gauche, des outils bien symboliques de l'architecture. Au milieu, au
second plan, sous la voute, un peintre est déjà à l'œuvre, le pot de
peinture à ses pieds, il travaille avec un pinceau au long manche.
13. Benoît reçoit deux jeunes Romains, Mauro et Placide
Les deux jeunes vont
devenir d'importants collaborateurs de Benoît, plus barbu que jamais.
Ils arrivent accompagnés de leurs parents. Les cavaliers du second plan
donnent l'idée d'une progression dans le temps. On note le grand soin
porté à la représentation des personnes et de leur tenue vestimentaire.
On ne peut que remarquer les tenues moulantes des deux personnages au
milieu du premier plan —les jeans moulants ne sont pas une si grande
nouveauté !
14. Benoît libère un moine possédé par le démon
L'histoire se lit en
plusieurs temps de gauche à droite. Benoît priait, il est soudain
attiré par le comportement d'un moine qui suit le démon. Enfin c'est le
châtiment corporel. On voit les traces du fouet sur le dos lacéré du
moine. Résultat : le démon confus et tordu s'enfuit dans les nuages. Au loin on voit Benoît qui pardonne au moine agenouillé et repentant.
15. Benoît fait jaillir une source au sommet de la montagne
Près des monastères,
sur la montagne, il y a des cyprès ! Il me semble que ce sont les plus
anciens dans les fresques de ce temps. On est bien dans la Toscane
mythique. Et l'on voit couler l'eau. Déjà un chien s'abreuve dans le
courant.
16. Benoît récupère une serpe tombée dans le lac
Nous sommes au bord du lac de Subiaco.
17. Mauro marche sur les eaux pour sauver Placide
Beau paysage encore.
Et à gauche, la cime d'un cyprès dépasse de la terrasse. On doit noter
la diversité des essences représentées par le fresquiste.
18. Florent tente d'empoisonner Benoît
Un moine jaloux de la renommée de Benoît tente de l'empoisonner. Dans ce panneau, Sodoma montre habilement la succession des faits. À gauche, Florent remet à un serviteur le cadeau empoisonné. À droite Benoît est à table et a un pressentiment. Il jette à un corbeau, que l'on voit au premier plan, le pain empoisonné pour qu'il l'emporte au loin.
Au corbeau de premier plan fait pendant le paon perché à l'arrière-plan. Un chat blanc s'affaire…
19. Florent envoie des prostituées au monastère
Un panneau de composition très contrastée
entre gauche et droite, avec un axe central et une perspective qui
semble bien exagérée.
Décidemment, les
moines connaissent la Tentation. Voyez la pomme ! Voyez ces 7 filles
charmantes ! qui chantent et qui dansent. Jacques de Voragine précise : "sept jeunes femmes nues". Le peintre a dû tempérer cette nudité en fonction du lieu où la fresque figure : sur le chemin quotidien des moines…
Danse et chants sont
accompagnés par deux personnages visibles sur la galerie de droite.
Sacré Florent ! Où est-ce qu'il est allé chercher tout ce joli monde ?
20. Benoît envoie Mauro en France et Placide en Sicile
Avec tout ce qui se passe ici c'est plus sage d'envoyer les jeunes moines en mission d'évangélisation!
Les faits se situent dans les années 537-546.
Bartolomeo Neroni
dit il Riccio et gendre de Sodoma est le principal exécutant de cette
œuvre qui, chronologiquement, devrait se situer après la scène suivante
:
21. Dieu punit Florent
Ce n'est pas trop tôt !
C'est la première fresque de la série due à Signorelli. L'action se passe à Subiaco. Benoît part pour le Mont Cassin.
22. Benoît évangélise les habitants du Mont Cassin
C'est le début des
activités apostoliques de saint Benoît et des Bénédictins sur le Mont
Cassin. On va y édifier bientôt un monastère là où existait auparavant un temple d'Apollon.
23. Benoît construit le monastère du Mont Cassin
Les moines
rencontrent des difficultés dans ce chantier. Il a fallu éteindre un
incendie et extraire une idole du sol. Au VIè siècle la
christianisation est loin d'être complète même en Italie.
24. Benoît construit le monastère du Mont Cassin (suite)
Chantier dangereux ! Un mur s'écroule. Des moines tombent , on le voit à l'arrière-plan :
Le cadavre d'un ouvrier est ramené par trois moines. Mais Benoît fait un miracle, il ressuscite son ouvrier. Une fois encore il a gagné contre le diable qui était responsable de l'écroulement du mur. [Plusieurs de ces fresques ont des couleurs moins bonnes. Signorelli ne semble pas avoir travaillé aussi bien que Sodoma].
25. Benoît dit aux moines où et quand ils ont mangé en dehors du monastère
Deux moines prennent un repas hors du
monastère. C'était interdit. Inutile de mentir à Benoît. Il sait. [La
fresque est un peu détériorée.]
26. Benoît démasque la ruse de Totila
Eh oui, c'est Totila, le roi des Goths. Coup
tordu en perspective. De fait, Totila a eu dl'idée d'envoyer Riggio,son
écuyer, à sa place, pour rendre hommahe, mais Benoît qui n'est pas
tombé de la dernière pluie, et que la Providence inspire, s'en
aperçoit. J'ai reproduit les soldats restés au second plan. Remarquable
vue sur un camp militaire du début de Cinquecento plutôt que du temps
de Totila et Benoît.
27. Benoît reconnaît et accueille Totila (le vrai donc)
On retrouve la tenue
vestimentaire qu'il avait prêtée à Riggio… C'est la dernière fresque de
la série de Signorelli. La composition est très complexe. Certains
signes indiquent la violence potentielle de la soldatesque ; ce ne sont
pas des anges!
28. Benoît prédit la destruction du Mont Cassin
Nous vivons dans un
monde dangereux, avec des tas de Barbares qui menacent la paix du Mont
Cassin qu'ils attaquent à l'arrière-plan.
De nouveau c'est Sodoma qui tient le pinceau. Ce
détail du groupe des Barbares montrent un rendu formidable pour les
visages, les armures, et les chevaux. Il font penser à ceux que
dessinait Léonard de Vinci. Au panneau n°2 déjà on notait la belle
allure des chevaux. On note ici un soldat noir. Peut-être un esclave
libéré ?
29. Benoît obtient de la farine en abondance et restaure les moines (détail)
Le pain est venu à manquer. C'était la famine
en Campanie. La Divine Providence les ravitaille. On voit ici les
moines à table avec leur Abbé.
Noter le sourire du
serveur qui s'aperçoit qu'un moine met la main sur le petit pain du
voisin. Noter aussi les maquereaux dans les assiettes.
30. Benoît apparaît à deux moines et leur présente une maquette de monastère…
Les moines, aussitôt, se mettent à construire leur monastère, à Terracine.
31. Benoît excommunie deux religieuses puis les absout après leur mort
Elles avaient été sanctionnées par Benoît. « Elles avaient, nous dit Voragine, le malheur de ne pas savoir retenir leur langue.» Mais la punition est excessive et l'excommunication sera levée pour qu'elles puissent reposer en paix.
32. Benoît fait porter le corps du Christ …
…sur le corps du moine que la terre refuse d'ensevelir.
Il était allé voir ses parents sans l'autorisation du Père supérieur...
33. Benoît libère par son regard un paysan attaché (détail)
Un méchant Goth
répondant au nom de Galla a voulu rançonner un paysan. Heureusement
Benoît fait encore une fois ce qu'il faut. Et Galla deviendra un bon
moine, abandonnant l'hérésie arienne.
Nous voici arrivés à la fin du récit.
ETUDE TECHNIQUE DES FRESQUES
La perspective
Dès
le premier tiers du Quattrocento a triomphé une conception rigoureuse
de la perspective : la perspective géométrique, avec ses lignes de
fuite souvent marquées par les plafonds et les mosaïques du sol. Les
vues d'ensemble des bâtiments permettent de vérifier cette pespective
savante et les lignes de fuite.
L'insertion des paysages
En
arrière-plan, Sodoma montre très souvent son intérêt pour le paysage.
Il s'agit de
paysages de campagne, notamment dans le panneau n°9 où Benoît est tenté
par le péché de chair. On a vu aussi quelques cyprès ce qui est normal
dans ces campagnes toscanes. Et il s'agit aussi de paysages urbains,
avec des villes vues dans le lointain.
Une peinture humaniste
Humanisme
et Renaissance : le rapprochement entre l'humanisme et la peinture renouvelée des
années 1500 est bien connu et légitime. Confirmation ici de l'intérêt
des artistes de ce temps pour la beauté du visage humain, pour le corps
aussi, y compris féminin comme le montrent plusieurs panneaux.
Plusieurs groupes en font la démonstration : celui des moines le plus souvent, celui des paysans celui des danseuses et prostituées, celui des soldats de Totila, etc.
Voici encore un groupe, celui des
chanteurs dans le panneau où Benoît a excommunié puis absout les deux religieuses.
Avec
le panneau où Benoît reçoit les jeunes Mauro et Placide, futurs
collaborateurs de Benoît, SODOMA réalise une véritable galerie de
portraits, dont la délicatesse a fait évoquer Raphaël.
L'art du récit
Le fresquiste décompose souvent la chronologie
à l'intérieur des panneaux en jouant de l'opposition graphique
gauche-droite, d'un second plan ou d'un arrière plan. Ainsi dans la
fresque n°2 : "Benoît quitte sa famille pour aller étudier à Rome",
nous voyons en grand le futur moine quitter sa famille, plus loin deux
ânes chargés d'un lourd fardeau, au loin une ville ; ces deux scènes
complémentaires suggèrant le voyage. Plus contrasté encore, le panneau
n° 30 oppose à gauche la scène de l'apparition à celle du chantier à
droite. Dans leur cellule, les deux moines (le Supérieur et son
compagnon dans le même lit !) voient en rêve l'apparition de la
maquette tenue par saint Benoît. L'autre partie de la peinture montre
le chantier de la construction du monastère, les deux moines étant
présent sur le chantier avec les ouvriers.
Au
besoin, le ciel est utilisé pour compléter le récit. Dans ce panneau qui
montre la victoire de Benoît sur la tentation de la chair : le moine
s'est déshabillé, il n'est plus vêtu que d'un slip —que les visiteuses
de la galerie trouvent étonnamment moderne— et dans le ciel la
diablesse est en déshabillé suggestif. Et tout cela dans un monastère
bénédictin situé dans un paysage splendide, les "crete" du sud de Sienne.