Technique de la Fresque
_________________________
LA TECHNIQUE DE LA FRESQUE
_________________________
Dans le langage
courant, le terme de FRESQUE a pris le sens de peinture murale en
général, sans tenir compte de la technique utilisée. Or, la fresque (en
italien : affresco) est une peinture murale qu'il n'est pas
toujours aisé de distinguer d'une peinture "à sec" mais elle se
conserve mieux. Par ailleurs, les deux techniques sont souvent
mélangées.
Le travail de fresque est long et compliqué.
L'artiste a besoin d'assistants de confiance, d'ouvriers expérimentés,
car lorsque la fresque a séché on ne peut y ajouter un coup de pinceau,
sinon, avec le temps, l'image se décolorera. Si on rate le travail, on
ne peut rien effacer, il faut tout gratter et tout recommencer à zéro.
Le mot fresco, désignant cette façon de peindre sur les murs, apparaît pour la première fois dans le traité Il Libro dell’arte, de Cennino Cennini, vers 1400. Mais la technique est alors employée depuis des siècles en Italie comme le montre à Pompéi la Villa des Mystères. Hors de ce pays les fresques sont plus rares. On s'appuie donc ici sur des exemples italiens.
LE PRINCIPE DE LA FRESQUE
La
fresque se compose de trois éléments : l'arricio, l'intonaco et enfin
la couleur puisque la fresque est réalisée sur l'intonaco. Appliquée
encore humide sur le mur, la couleur s'y incorpore et se conserve de
façon illimitée.
• L'ARRICIO. Le support, de pierre ou de
brique, étant sec et plan, on peut commence par préparer l'arricio, un
crépi qui est un mélange de chaux, de sable et d'eau) d'une épaisseur
d'environ 1 cm, afin de rendre le mur le plus lisse possible. L'arricio
sèche en quelques semaines, voire des mois. Parfois on a introduit de la paille, de la coquille, ou de l'étoffe dans la composition de l'arricio (et de l'intonaco) afin de
prolonger l'humidité et de permettre un temps d'application plus
important.
•
L'INTONACO est l'élément qui supporte l'ensemble de la fresque. Il est
composé d'une pâte faite de sable fin, de poudre de marbre ou de très
fine pouzzolane, de chaux et d'eau. En séchant la chaux de l'intonaco
passe de l'état d'hydrate de calcium à celui de carbonate de chaux
formant une pellicule résistante qui protégera les pigments. En été,
Giambattista Tiepolo comptait réaliser un plafond de 11 m sur 6 m en
moins d'un mois.
• La COULEUR est obligatoirement étalée sur
l'intonaco encore humide et donc frais (d'où le nom de "fresque" - a
fresco). La couleur, d'origine végétale, animale ou minérale, est
préparée chaque jour avec de l'eau. Au bout de trois mois les couleurs prennent leur ton définitif.
L'EVOLUTION DE LA FRESQUE ENTRE 1200 ET 1600
Au
XIVè siècle, alors que la technique de la fresque connaît une grande
diffusion au centre et au sud de l'Europe, deux grandes innovations
sont introduites par les ouvriers de l'époque. L'usage du dessin
préparatoire (la "sinopia") et la réalisation du travail non plus par
"pontate" mais à la journée ("'giornata"), en effet, la véritable
fresque ("buon fresco") exigeant rapidité et habileté, l’intonaco ne
reste généralement frais qu’une journée.
• DU PONTATE À LA GIORNATA
Dès l'époque romane, le travail des fresquistes était réalisé par "pontate". Grâce
aux échafaudages ("ponte"), on travaille à partir de la partie haute
et à chaque fois qu'on passe à un niveau inférieur, on doit donc faire des
raccords.
Ci-contre,
le travail par bandes horizontales ("pontate" ou "pontaggi") d'après une illustration
du Guide Bleu "Toscane". C'est le cas deu travail de Giotto dans
l'église S. Croce à Florence.
L'auteur note que les trous dûs aux
échafaudages sont parfois visibles aujourd'hui. Ils ont été camouflés
par de l'intonaco qui n'a pas toujours résisté au temps.
Désormais la réalisation de la fresque n'est plus liée à la position
des échafaudages mais à la décision des ouvriers quant à
la surface à réaliser dans le cadre d'une journée ("giornata")
de travail.
Une couche légère d'intonaco ("velo") est d'abord appliquée
sur la portion du mur que l'on prévoit de peindre avant la fin de la
journée. Une attention majeure est apportée pour masquer les joints
entre deux journées : ces interventions sont seulement faites à la
tempera. D'où l'intérêt de techniques pour prolonger l'humidité.
Ainsi
dans l’église de S. Francesco, à Arezzo, Piero della Francesca a eu
recours à des piles de linge mouillé qu’il appliquait sur la surface
enduite pour qu’elle reste fraîche jusqu’à ce qu’il soit prêt à la
peindre !
L'habileté de l'artiste est donc décisive ainsi que l’importance du sujet à traiter. Giotto, par exemple, dans Le Jugement dernier de Padoue, a pu peindre en une seule fois une douzaine de têtes du groupe des Élus, ou au contraire consacrer toute une séance à un seul portrait comme celui du donateur Enrico Scrovegni.
À l'occasion des restaurations, on peut mieux constater les "giornate" :
Ici, à l'occasion
de la restauration de la Chapelle Brancacci, à Florence, la
délimitation et la numérotation des "giornate" sont figurées sur une
photographie de la fresque de Masaccio « L'ombre de saint Pierre.» Les
flèches indiquent le sens du recouvrement par la peinture aux limites
des "giornate". Les visages, on le conçoit aisément, représentent des
"giornate" de plus petite surface alors que le sol ou les murs sont
travaillés par unités plus vastes. On sait que dans certains cas —et
ceci se retrouve dans les tableaux peints à l'huile du XVIè au XIXè
siècle— le maître se réserve les morceaux de choix (le portrait par
exemple) et laisse le reste à ses élèves.
L'étude attentive des différences de couleur permet de distinguer les limites des "giornate". Prenons l'exemple, toujours à la Chapelle Brancacci, d' «Adam et Ève chassés du paradis terrestre» :
Autour de l'Ange, le ciel est plus clair par manque d'azurite alors qu'autour d'Adam on a un bleu d'azur plus soutenu qui correspond à la "giornata" de la réalisation du corps d'Adam par Masaccio. Dans le cas précis de cette œuvre, l'incendie de 1771 a aussi détérioré certaines couleurs : derrière la tête d'Adam, il devrait se trouver des rayons dorés mais la peinture dorée a fondu et ne reste que son suport foncé.
• LE DESSIN : Sinopia ou Carton
Les images à réaliser sont souvent dessinées en coutour à l'ocre rouge. Dans certains cas, on note la
présence de carroyage, tracé sur l'intonaco frais, pour aider à la
figuration. Une fois que le dessin est recouvert, le
peintre doit se fier à sa mémoire, ou bien suivre un projet à
l'échelle 1 sur un carton.
La sinopia
est un dessin préparatoire, une ébauche, en couleur. Elle est appliquée
au pinceau avec de la terre rouge de Sinope (d'où le nom) d'abord sur
l'arricio et ensuite sur l'intonaco et elle reproduit de manière
précise le dessin de la fresque. La découverte de l'existence des
sinopie s'est faite au lendemain de la 2ème guerre mondiale, quand, en
détachant des fresques pour les restaurer, les dessins sous-jacents en
couleur ont été retrouvés.
Sinopia.
Museo dell'Opera di S.Croce (Florence)
Avec la Renaissance, en Italie
centrale, la sinopia est abandonnée (dans d'autres régions elle se
maintient jusqu'à la fin du XVIè siècle) et on introduit l'emploi du carton
préparatoire. La fresque entière est figurée grandeur nature sur le
carton. Les lignes qui en composent le dessin sont formés par des
points perforés. Une fois appliqué le carton sur l'intonaco frais, on
projette une très fine poudre de charbon. Ainsi la poudre, passant à
travers les petits trous, laisse la trace à suivre dans le travail au
pinceau. Cette technique est appelée "spolvero", mais avec le temps
elle fut uniquement employée pour les parties de la peinture exigeant
le plus de précision des détails (les mains, les visages, et certains
détails vestimentaires).
Au début de la Renaissance, on commence
aussi à employer, pour les parties de la peinture plus amples, moins
riches de détails, une nouvelle technique : la gravure
indirecte. Dans ce cas, le carton employé pour reporter le dessein
était beaucoup plus épais que celui utilisé pour le "spolvero". On
procédait de manière à faire adhérer le carton à l'intonaco encore
frais, en repassant successivement les lignes du dessin avec un stylet
en bois ou en métal muni d'une pointe arrondie (ou poncif). La pression de
l'instrument laisse, à travers le carton, une légère incision dans le
mortier traçant lignes et contours pour l'application définitive de la
couleur.
Aux
XVII et XVIIIè siècles, l'évolution du marché de l'art et des relations
de pouvoir entre artistes et commanditaires se répercute sur les
procédés picturaux comme la fresque. La préparation du support pictural
est toujours plus raffinée (les fresques conservées datant de cette
époque sont, il est vrai, en nombre plus important qu'à l'époque
précédente). La réalisation du carton préparatoire est précédé d'une
ébauche, dessin à l'échelle 1 donc très détaillé de la fresque. L'ébauche
est soumise au jugement du commanditaire et s'il l'approuve on passe à
sa réalisation.
• "FRESCO SECCO" et "MEZZO FRESCO"
Les couleurs appliquées a secco étaient ordinairement mêlées à de l’eau de
chaux pour essayer de donner l’illusion de la vraie technique à
fresque. C’est ce qu’on appelle parfois -et plutôt improprement- le fresco secco. Durant le
Moyen Âge, on s’en est largement servi pour des peintures entières. En effet, beaucoup
de couleurs brillantes comme le vermillon, l’orpiment et le résinate de
cuivre ne pouvaient être posées qu’après le séchage complet de
l’enduit. Pour que ces couleurs adhèrent au mur, on mêlait aux pigments
de la colle.
La peinture a secco s’est révélée moins
durable, car les pigments ont une prise beaucoup plus superficielle sur
le mur. Quant aux produits agglutinants d’origine organique (colle
animale, œuf, suc végétal, caséine) dont on se sert dans la peinture a
secco, ils sont exposés à l’action destructrice des moisissures et des
bactéries. En témoigne le mauvais état de "la dernière Cène"
de Léonard de Vinci.
Plus tard, nous dit l'Universalis, les peintres
ont eu souvent recours à la technique du mezzo-fresco ou demi-fresque.
Dans ce cas, la couleur mélangée à l’eau de chaux est appliquée sur un
enduit qui est en partie sec. La surface présente déjà un aspect plus
dur que dans le buon fresco, mais le processus de carbonatation de
l’hydrate de chaux que contient l’enduit n’étant pas complètement
achevé, une certaine absorption de la couleur par le support est encore
possible. C’est sans doute à cette méthode que Sodoma a eu recours pour
ses peintures –aux couleurs restées vives– du cloître de Monte Oliveto Maggiore et cette pratique
est devenue courante à partir du milieu du XVIe siècle.
"Comment Benoît reçoit les deux jeunes romains nommés Mauro et Placide" (détail)
SODOMA
Monte Oliveto Maggiore (près de Sienne)
Sources :
Encyclopédie Universalis : article Fresque.
Wikipedia (Italie) : article "affresco" et Wikipedia (France) : article "fresques".
La Chapelle Brancacci, par Umberto Baldini et Ornella Casazza, Gallimard/Electa, 1991. [Merci à Françoise A. de m'avoir prêté cet ouvrage].